La fusion nucléaire au service de l'économie de l'hydrogène ?
La plus grande partie de la production actuelle d'hydrogène est de l'hydrogène « gris », qui est issu de combustibles fossiles et généralement utilisé comme matière première chimique. Mais la production de cet hydrogène carboné va à l'encontre de l'objectif d'une décarbonation profonde. Il existe différentes méthodes de production d'hydrogène bas carbone, telles que l'hydrogène « vert », « bleu » et « rose », mais aucune d'entre elles n'a atteint la maturité industrielle. Ces méthodes permettront d'atteindre des objectifs de production d'hydrogène ambitieux, notamment ceux de l'initiative européenne , qui table sur une production domestique d'hydrogène de 10 million de tonnes et 10 million de tonnes d'importations d'ici 2030. Mais à long terme, la fusion pourrait-elle s'imposer comme la source d'énergie la plus efficace pour la production d'hydrogène ? Et inversement, la production d'hydrogène pourrait-elle renforcer l'attractivité économique de la fusion nucléaire ?
La production d'hydrogène et la fusion nucléaire sont intimement liées car la plupart des procédés de fusion utilisent des isotopes de l'hydrogène, le deutérium et le tritium, comme combustible de départ. Depuis plusieurs décennies, les scientifiques pensent qu'il est possible d'obtenir de l'hydrogène à partir du processus de fusion, plus précisément depuis la publication, en 1980, d'une menée par Meyer Steinberg, un vétéran du Manhattan Project. Aujourd'hui, alors que la communauté de la fusion travaille à l'obtention d'un plasma en combustion et que la production d'hydrogène monte en puissance pour répondre aux objectifs de décarbonation, l'hypothèse de l'hydrogène issu de la fusion devient plus réaliste que jamais. Et pourquoi donc ? Tout comme la production d'électricité de fusion, le processus de production d'hydrogène par fusion nucléaire n'émettrait pas de CO2, génèrerait des déchets moins actifs et à vie plus courte que l'hydrogène rose et ne comporterait aucun risque de fusion du cœur du réacteur. Par ailleurs, le rendement potentiel de la fusion et l'abondance des ressources en font une option peu coûteuse pour la production d'électricité. Selon une , l'hydrogène issu de la fusion pourrait devenir économiquement attractif si ces facteurs de réduction des coûts permettaient à un marché de la fusion mature d'atteindre un coût actualisé de l'énergie inférieur à 50 USD/MwHe. Enfin, l'hydrogène généré par fusion ouvrirait la voie de la souveraineté énergétique. Alors que tous les pays ont besoin de vecteurs énergétiques pour leur industrie et leurs transports, seuls certains d'entre eux possèdent ce type de ressources naturelles alors que d'autres doivent acheter ces combustibles indispensables sur les marchés mondiaux. La fusion, en revanche, permettrait de produire de l'hydrogène à partir de ressources beaucoup plus abondantes et réparties de manière plus équitable : le deutérium et le lithium utilisé pour produire le tritium. Une économie de l'hydrogène s'appuyant sur la fusion ne se définirait plus en fonction des ressources naturelles dont dispose chacun.
Par ailleurs, la production d'hydrogène pourrait constituer une source de revenus supplémentaire pour les installations de fusion. Un réacteur de fusion nucléaire fonctionnerait comme une source d'énergie de base, une source d'électricité permanente et fiable pour le réseau. Cependant, lorsque la demande en électricité est plus faible (la nuit par exemple), une centrale de fusion équipée pour produire de l'hydrogène pourrait utiliser l'électricité générée pendant ces périodes creuses pour produire de l'hydrogène. Certains concepts récents de centrales de fusion, comme celui par le National Institute for Fusion Science au Japon, intègrent ce type d'installations de cogénération d'électricité et d'hydrogène. Cette double source de revenus pourrait réduire les risques et améliorer le retour sur investissement des centrales de fusion, favorisant ainsi le développement commercial de l'énergie de fusion.
Bien évidemment, il ne sera pas possible de produire de l'hydrogène par fusion tant que celle-ci n'aura pas atteint le stade industriel. Il faudra résoudre certaines questions techniques, notamment déterminer si la contamination par le tritium pourra être maintenue à dans l'hydrogène issu de la fusion, ainsi que des problématiques économiques, par exemple déterminer si la fusion sera une solution plus que les autres sources d'énergie renouvelable pour la production d'hydrogène. Au-delà de la fusion à proprement parler, la rentabilité du devra être améliorée pour que l'économie de l'hydrogène puisse prendre son essor.
Malgré les incertitudes, les avantages potentiels d'une relation de symbiose entre la fusion et l'hydrogène sont suffisamment importants pour justifier des études plus approfondies. La fusion pourrait permettre à la production d'hydrogène d'atteindre des niveaux suffisants pour mettre en place une véritable économie de l'hydrogène et les revenus générés par l'hydrogène pourraient favoriser la commercialisation à grande échelle de l'énergie de fusion, le « Saint-Graal » de l'énergie propre. Exploiter les synergies entre ces deux formes d'énergie permettrait d'accélérer leur développement industriel respectif et serait aussi un atout précieux pour l'humanité dans ses efforts vers un avenir zéro carbone.
Venu des États-Unis, Jack Moore a passé six mois à la division Communication d'°ÄÃÅÁùºÏ²Ê¸ßÊÖ en tant que stagiaire. Il termine actuellement un master de développement international à Sciences Po Paris et s'intéresse tout particulièrement au développement des énergies propres dans les pays à revenu faible et intermédiaire.