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S'il s'¨¦tait abandonn¨¦ au lyrisme, Paul-Henri Rebut aurait pu ¨¦crire que, 500 000 ans apr¨¨s l'avoir domestiqu¨¦, l'homme venait de d¨¦couvrir le feu pour la deuxi¨¨me fois.

 

Ce qui s'¨¦tait embras¨¦, ce 9 novembre 1991 ¨¤ Culham, pr¨¨s d'Oxford, ¨¤ une soixantaine de kilom¨¨tres ¨¤ l'ouest de Londres, n'¨¦tait pas un feu ordinaire: c'¨¦tait un feu thermonucl¨¦aire contr?l¨¦, confin¨¦ dans une cage magn¨¦tique et aliment¨¦ par la fusion d'atomes de deut¨¦rium et de tritium, les deux vari¨¦t¨¦s lourdes de l'hydrog¨¨ne.

 

Paul-Henri Rebut, directeur du JET, qui avait en quelque sorte craqu¨¦ l'allumette, attendait ce moment depuis plus de trente ans. Dans le monde de la fusion, cette communaut¨¦ de physiciens et d'ing¨¦nieurs qui, depuis le d¨¦but des ann¨¦es cinquante, ambitionnait de s'approprier le feu du ciel, l'homme ¨¦tait une l¨¦gende.

 

Polytechnicien, entr¨¦ au CEA en 1958, il avait con?u, ¨¤ la fin des ann¨¦es soixante, le Tokamak de Fontenay-aux-Roses (TFR) qui demeurerait jusqu'au milieu de la d¨¦cennie suivante l'installation de fusion la plus performante au monde. En 1974, sous l'¨¦gide de l'Euratom, il s'¨¦tait attel¨¦ ¨¤ la construction d'une machine encore plus ambitieuse : le Joint European Torus (JET), avec lequel la recherche sur la fusion allait spectaculairement changer d'¨¦chelle et d'ambition. Autant que TFR, que l'on appelait parfois le ? Tokamak Fa?on Rebut ?, le JET porterait la marque de ce th¨¦oricien visionnaire, doubl¨¦ d'un technicien de g¨¦nie.

 

En 1991, le JET produisait des plasmas de deut¨¦rium depuis d¨¦j¨¤ huit ans et les performances de la machine, comme la ma?trise de ses diff¨¦rents param¨¨tres, n'avaient cess¨¦ de progresser. Conform¨¦ment au programme scientifique, l'heure ¨¦tait venue d'exp¨¦rimenter avec les ? vrais ? combustibles de la fusion : le deut¨¦rium, un hydrog¨¨ne dont le noyau contient deux neutrons au lieu d'un, et le tritium, ¨¦l¨¦ment radioactif ¨¤ p¨¦riode courte, qui en compte un troisi¨¨me.

 

Soucieux de ne pas activer pr¨¦matur¨¦ment la machine, les op¨¦rateurs avaient d¨¦lib¨¦r¨¦ment opt¨¦ pour un m¨¦lange pauvre (10% de tritium seulement) alors que le ? bon m¨¦lange ?, celui qui assure le taux de r¨¦action optimal, compte une proportion ¨¦gale des deux ¨¦l¨¦ments.

 

 

M¨ºme si l'embrasement avait ¨¦t¨¦ bref; m¨ºme si la puissance lib¨¦r¨¦e demeurait modeste, la d¨¦monstration ¨¦tait faite: on avait recr¨¦¨¦ le feu des ¨¦toiles. Trois g¨¦n¨¦rations de physiciens, depuis les premiers travaux d'Ernest Rutherford dans les ann¨¦es 1930, avaient attendu ce moment.

 

Le seul ? risque ? qu'¨¤ vingt ans de distance Paul-Henri Rebut reconna?t avoir pris ce jour-l¨¤, c'est d'avoir accept¨¦ que les m¨¦dias assistent en direct ¨¤ l'exp¨¦rience. ? Les journaux, les cha?nes de t¨¦l¨¦vision, les radios avaient eu vent de notre d¨¦cision de lancer les op¨¦rations en deut¨¦rium-tritium et tous avaient insist¨¦ pour ¨ºtre pr¨¦sents dans la salle de contr?le. J'ai accept¨¦ leur pr¨¦sence parce que le public, qui finance nos recherches, a le droit d'¨ºtre inform¨¦. Je ne l'ai pas regrett¨¦. Le lendemain, nous ¨¦tions ¨¤ la Une de tous les plus grands journaux du monde... ?

 

 ? Cette r¨¦ussite, ¨¦crivait le New York Times, marque une ¨¦tape majeure dans la ma?trise, pour le bien de l'humanit¨¦, de ce m¨ºme feu thermonucl¨¦aire qui fait briller le Soleil et produit la terrifiante bombe H ?. En France, Le Monde saluait ? une ¨¦tape d¨¦cisive dans un processus qui doit conduire au contr?le d'une ¨¦nergie presque in¨¦puisable ?. Et, comme on pouvait s'y attendre, l'expression  ? Soleil en bouteille ? ¨¦tait partout...

 

Tandis que le monde s'¨¦merveillait, Rebut et les ¨¦quipes du JET pr¨¦paraient d¨¦j¨¤ l'¨¦tape suivante. En d¨¦montrant la faisabilit¨¦ de l'¨¦nergie de fusion, r¨¦sumait le communiqu¨¦ de presse officiel, le JET avait ? construit les bases sur lesquelles sera ¨¦difi¨¦ le r¨¦acteur exp¨¦rimental °ÄÃÅÁùºÏ²Ê¸ßÊÖ, qui doit ¨ºtre construit dans le cadre d'une collaboration internationale ?.

 

"Le JET, en soi, n'¨¦tait d'aucune utilit¨¦ s'il n'ouvrait la voie ¨¤ une machine nouvelle et plus puissante ?, r¨¦sume aujourd'hui Paul-Henri Rebut. De fait, le programme °ÄÃÅÁùºÏ²Ê¸ßÊÖ, initi¨¦ sept ans plus t?t, allait aborder d¨¨s 1992 la phase des ¨¦tudes d'ing¨¦nierie (Engineering Design Activities) tandis que trois ? sites communs ? (Joint Work Sites) ¨¦taient ¨¦tablis ¨¤ San Diego aux ?tats-Unis ¨¤ Garching en Allemagne et ¨¤ Naka au Japon.

 

De Culham, la torche thermonucl¨¦aire allait bient?t passer ¨¤ Princeton, aux ?tats-Unis, o¨´ le Laboratoire de physique des plasmas (PPPL) exploitait depuis 1982 le Tokamak Fusion Test Reactor (TFTR), une machine ¨¤ peine moins imposante que le JET, construite en m¨ºme temps que lui et comme lui con?ue pour fonctionner au m¨¦lange deut¨¦rium tritium (DT).

 

 

Vingt ans ont pass¨¦. TFTR a ¨¦t¨¦ d¨¦mantel¨¦ en 1997 ; le JET a continu¨¦ son programme de recherche, mais sans mettre en ?uvre de nouveaux plasmas DT, et c'est °ÄÃÅÁùºÏ²Ê¸ßÊÖ, d¨¦sormais, qui va explorer les territoires situ¨¦s au-del¨¤ du breakeven. D¨¨s 2027, quand les vrais combustibles de fusion seront mis en ?uvre, la machine visera une ? amplification d'¨¦nergie ? de l'ordre de 10 (Q ¡Ý 10), voire plus.

 

Quant ¨¤ Paul-Henri Rebut, il poursuit sa qu¨ºte. Apr¨¨s avoir quitt¨¦ le JET en 1992, il a tout naturellement ¨¦t¨¦ nomm¨¦ directeur du programme °ÄÃÅÁùºÏ²Ê¸ßÊÖ, une fonction qu'il a occup¨¦e jusqu'en 1994. A 76 ans, sa passion pour les machines de fusion demeure intacte. Toujours un peu ? ³ó¨¦°ù¨¦³Ù¾±±ç³Ü±ð ?, il r¨ºve aujourd'hui de r¨¦acteurs hybrides qui associeraient l'¨¦nergie des neutrons issus de la r¨¦action de fusion ¨¤ la puissance des r¨¦acteurs de fission.