Maintenir au frais
Et ce qui vaut pour le chaud, vaut également pour le froid : un liquide glacé, isolé de son environnement par le vide du thermos, conservera lui aussi sa température pendant plusieurs heures.
Dans le tokamak °ÄÃÅÁùºÏ²Ê¸ßÊÖ, la préservation du froid est essentielle pour assurer la supraconductivité du système magnétique, qu'un flux d'hélium liquide refroidit à la température de moins 269° C (voir Le Magazine n°5).
Cette température extraordinairement basse — il fait plus chaud sur Pluton ! — ne doit en aucun cas s'élever : quelques degrés de plus et l'alliage des aimants perdrait ses capacités supraconductrices, ce qui conduirait à l'arrêt des opérations.
Il est donc impératif que le système magnétique soit isolé, le plus parfaitement possible, de l'environnement. Comment ? En plaçant l'ensemble de la machine dans un énorme thermos — une enceinte à vide cylindrique de 30 mètres de haut et autant de diamètre appelée « cryostat ».
Entre l'hélium liquide qui circule dans le bobinage des aimants et l'environnement du tokamak, la différence de température est de l'ordre 300 degrés C. On réduit cet énorme gradient de température en dressant une barrière d'isolation intermédiaire, le « bouclier thermique », placé à une dizaine de centimètres des aimants et activement refroidi à moins 193° C.
Le vide (un million de fois moins dense que l'atmosphère) qui isole le bouclier thermique du cryostat interdit les échanges thermiques entre les deux environnements.
Avec un volume total de 16 000 mètres cubes, le cryostat du tokamak °ÄÃÅÁùºÏ²Ê¸ßÊÖ n'est pas seulement l'une des deux plus grandes(1) enceintes à vide jamais construites — c'est également, et de loin, la plus complexe.
A la différence d'un thermos, qui n'a pas de trous, le cryostat lui, est perforé par près de 280 ouvertures, certaines larges de 4 mètres, laissant passer canalisations, alimentations électriques, systèmes de chauffage, de diagnostics, de télémanipulation... et chacune de ces « pénétrations » doit être aussi étanche que possible de manière à préserver la qualité du vide.
Pièce essentielle de la machine, aussi complexe que monumentale, le cryostat ne se contente pas d'isoler le système magnétique supraconducteur de l'environnement extérieur.
« Le cryostat participe de la structure même de la machine dont il est mécaniquement solidaire, explique Igor Sekachev, l'ingénieur responsable de la section cryostat au sein d'°ÄÃÅÁùºÏ²Ê¸ßÊÖ Organization. Le socle d'acier sur lequel il repose a donc été conçu et dimensionné pour supporter une masse totale de près de 23 000 tonnes — les 3 850 tonnes du cryostat lui-même et les 18 900 tonnes de l'ensemble constitué par la chambre à vide, le système magnétique et le bouclier thermique. »
Confiée à la société indienne Larsen & Toubro Ltd, qui a réalisé la majeure partie de la fusée et de la sonde spatiale martienne Mangalyaan, la fabrication des différents éléments du cryostat a été lancée au début de l'année 2014. Les premières pièces de cet énorme cylindre, dont l'acier est fourni par Industeel-Le Creusot, seront livrées à °ÄÃÅÁùºÏ²Ê¸ßÊÖ en 2016.
A partir de ces 54 « segments », les quatre sections principales du cryostat seront alors soudées et assemblées dans un bâtiment spécial, « l'Atelier du cryostat », inauguré le 21 novembre dernier sur le site d'°ÄÃÅÁùºÏ²Ê¸ßÊÖ.
La procédure d'assemblage de la machine débutera avec l'installation de la base du cryostat (1 250 tonnes) dans la fosse du tokamak. La mise en place du "couvercle" (600 tonnes) en marquera l'achèvement.
(1) Seul, le Space Power Facility de la Nasa, construit pour recréer le vide spatial et y tester satellites et équipements, offre un volume de vide plus important (22 500 m3). Une des scènes les plus spectaculaires du film The Avengers y a été tournée en 2011.
(2) Dans certaines conditions de température, les matériaux libèrent une infime partie des molécules qui les constituent — c'est le « dégazage ».
(3) Les cryopompes sont utilisées en complément des pompes mécaniques pour créer un vide poussé de dans de très grands volumes en capturant les molécules de gaz figées par le froid intense.